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Climat : pourquoi le trafic aérien est-il peu taxé ?

A Montréal, vendredi, se termine le rendez-vous triennal de l'Organisation de l'aviation civile internationale pour définir les règles de réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur.
par Aude Massiot
publié le 15 février 2019 à 15h47

Il participe à environ 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, un impact qui promet de tripler d'ici 2050. S'il était un pays, le secteur aérien serait le sixième plus gros pollueur au monde, entre le Japon et l'Allemagne. D'après la Commission européenne, un vol aller-retour transatlantique émet autant de gaz à effet de serre qu'une personne pour se chauffer pendant un an. Malgré cela, les industriels ont réussi à ne pas être intégrés dans les objectifs de l'accord de Paris sur le climat, premier texte universel sur le sujet signé en 2015.

Ils ont préféré décider de leur propre cadre au sein de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), un groupe parmi les plus opaques au monde, où les observateurs de la société civile n’ont pas de droit de regard sur les prises de décision.

A Montréal, vendredi, s'achève justement la réunion triennale du comité environnemental de l'OACI où 24 Etats, épaulés par les entreprises du secteur, doivent décider de leur réponse aux résultats du rapport alarmant du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), publié en octobre.

Des difficultés pour taxer le kérosène

L’OACI s’est, pour l’instant, engagée à maintenir ses émissions au niveau de 2020, après cette échéance. Cela grâce à un système de compensation carbone, c’est-à-dire que les compagnies aériennes peuvent financer des projets qui participent à la lutte contre le changement climatique pour éviter de réduire leurs émissions. Des engagements assez peu ambitieux et en contradiction avec les conclusions du Giec. Selon ces scientifiques internationaux, les émissions doivent absolument diminuer drastiquement d’ici le milieu du siècle. Même en utilisant tous les moyens de compensation existants et de captation carbone connus, sans réduire les émissions, la planète entrera en surchauffe.

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Une solution serait de freiner le boom du trafic aérien. Dans ce but, la taxation des trajets semble un moyen évident, explique Kurt Van Dender, chef de la division des politiques fiscales de l'OCDE : «Il n'y a aucune raison de ne pas introduire de prix carbone sur le transport aérien. Plusieurs pays se sont déjà lancés dans des expérimentations concluantes.» 

En Europe, les émissions des trajets entre les Etats membres sont comprises dans le marché carbone, aussi appelé ETS. Un mécanisme d'échange de permis à polluer dans lequel le prix de la tonne de CO2 a longtemps été trop bas pour avoir un effet positif sur l'environnement, mais qui décolle depuis un an. «Il y a quelques années, l'Union européenne a voulu intégrer tous les vols internationaux dans son marché carbone mais les Etats-Unis et la Chine ont râlé et Bruxelles a fait marche arrière», détaille Kurt Van Dender.

Ponctionner l'achat de kérosène est la mesure la plus souvent avancée. Mais la convention de Chicago de 1947 impose qu'il n'y ait pas de taxes sur ce carburant. «Seulement, si des Etats renégocient ces accords de manière bilatérale, on peut imaginer un regroupement de pays d'Europe de l'Ouest, par exemple, lever ces exemptions et imposer une fiscalité sur le kérosène sur les vols entre leurs territoires», reprend Kurt Van Dender. «Ce serait la mesure la plus efficace pour réduire l'impact environnemental, assure Lucy Gilliam de l'ONG bruxelloise Transport & Environment. Et cela encouragerait les constructeurs à développer des moteurs à carburants synthétiques, beaucoup moins polluants.» Seulement, les aéronefs pourraient toujours aller se réapprovisionner dans des pays voisins.

Des exemples européens

Autre possibilité : taxer les tickets d’avions. Actuellement, ils ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour les vols internationaux. Seulement, les Etats sont libres d’imposer la TVA sur leurs vols domestiques, ce que font l’Espagne et l’Allemagne. Le Royaume-Uni est le premier à avoir mis en place, en 1994, une taxe en remplacement de la TVA : l’Air Passenger Duty. Elle est payée par les compagnies aériennes en fonction de la distance parcourue et de la classe du ticket. Pour arriver à financer cela, ces dernières répercutent cette taxe sur les billets d’avion. Augmenter les prix dissuade certains passagers de voyager et donc réduit le trafic aérien et ses émissions néfastes pour l’environnement.

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Aux Pays-Bas, le gouvernement prévoit la création, à partir de 2021, d’une taxe de 7 euros par ticket acheté, peu importe la destination. L’aéroport de Schiphol, proche d’Amsterdam, a annoncé une hausse de ses tarifs pour les aéronefs les plus polluants et les plus bruyants. Le gouvernement néerlandais appelle aussi la Commission européenne à imposer une taxe sur l’aviation pour toute l’UE.

De son côté, la France n'a pour l'instant aucune fiscalité environnementale sur les trajets en avion. Au contraire, certaines compagnies sont lourdement subventionnées pour garantir le fonctionnement des lignes régionales. Lors de la 24e Conférence des Nations unies sur le climat, en décembre, Brune Poirson a assuré que l'exécutif réfléchissait à une taxation du kérosène et poussait à Bruxelles pour la création d'une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne.

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