L’annonce, la semaine dernière, de la mise en faillite de la branche britannique de The Body Shop a été un véritable choc au Royaume-Uni, où la marque a été fondée il y a presque 50 ans. Depuis, les mauvaises nouvelles se sont enchaînées. Des filiales de The Body Shop en Europe continentale ont commencé à fermer leurs portes : la filiale allemande a été placée en redressement judiciaire et les filiales en Belgique, en Autriche, en Irlande et au Luxembourg pourraient suivre.

Un modèle bousculé par ses concurrents

Si les choses s’accélèrent aujourd’hui, les difficultés ne datent pas d’hier pour la chaîne britannique.

Fondée en 1976 à Brighton, au sud de l’Angleterre, par l’entrepreneuse Anita Roddick, l’enseigne a été pionnière d’une cosmétique respectueuse de l’environnement, non testée sur les animaux et adepte du commerce équitable. Mais depuis, l’Union européenne et de nombreux pays ont interdit de tester les cosmétiques sur les animaux, des marques de cosmétiques naturels ou bio ont émergé et des modèles novateurs misant sur les produits solides et la réduction des emballages ont vu le jour.

« Dans les années 80, The Body Shop était le lieu préféré des jeunes acheteuses qui dépensaient leur argent dans des bains moussants parfumés ou des lignes de beauté avec une profonde éthique environnementale, un accent sur la justice sociale et la préservation de la nature », a déclaré à l’AFP Susannah Streeter, analyste chez Hargreaves Lansdown. Entre temps, des concurrents comme Lush, L’Occitane, Neal’s Yard, Aesop et une multitude de marques indépendantes ont bousculé son modèle et gagné des parts de marché.

Achetée par L’Oréal en 2006, alors qu’elle était au sommet de sa gloire, la marque a été acquise en 2017 par le groupe brésilien Natura. Mais le géant sud-américain de la beauté a aussi acheté Avon en 2019, un mauvais timing qui s’est traduit par une dette abyssale après le passage de la pandémie de Covid et la hausse consécutive des taux d’intérêt.

Trop de marchés déficitaires

Quand Natura a décidé de se recentrer sur son activité en Amérique latine, les acheteurs ne se bousculaient pas, malgré un prix de cession nettement inférieur à ce qui avait été payé à L’Oréal. En effet, au moment de l’acquisition par Aurelius, The Body Shop comptait 2.500 magasins dans plus de 70 pays et beaucoup de ces marchés n’étaient pas rentables.

Selon des proches du dossier interrogés par le Financial Times, malgré des pertes conséquentes en 2022, les opérations au Royaume-Uni, étaient considérées comme les plus attractives. Aurelius était également confiant au sujet des filiales au Canada et en Australie. Mais des recettes médiocres pendant la période cruciale des fêtes auraient bouleversé les perspectives financières et conduit au dépôt de bilan au Royaume-Uni !

Que cherche Aurelius ?

Le fonds d’investissement aurait donc fait une sérieuse erreur d’appréciation lors de l’acquisition de The Body Shop. De fait, Peter Wood, le directeur général d’Aurelius au Royaume-Uni et le chef d’orchestre de l’acquisition de la marque, a quitté l’entreprise, selon The Telegraph.

De son côté, The Times a révélé que la société allemande a consolidé sa position de principal créancier de la marque avant de déposer le bilan. Peu de temps après avoir acheté l’entreprise, Aurelius a accordé au groupe des prêts garantis sur des actifs intellectuels et des actions de sa branche canadienne (rentable).

« Juste avant Noël, Aurelius a publié un communiqué affirmant qu’ils allaient "redynamiser l’entreprise" et "inaugurer une nouvelle phase de réussite". Moins de trois mois plus tard, ils mettent la marque en liquidation et semblent être les premiers en lice pour être payés. Ont-ils jamais eu l’intention de développer l’entreprise ? », s’est interrogée la députée travailliste Siobhain McDonagh.

Fin janvier, Aurelius avait annoncé la vente d’une partie des filiales européennes et asiatiques de The Body Shop à ce qu’ils ont qualifié de « family office », un terme qui désigne généralement une structure de gestion d’un patrimoine personnel. L’acheteur serait Alma24, une société constituée le 25 janvier 2024 à Londres. Selon les informations du Guardian, Alma24 est contrôlée par Friedrich Trautwein, un dirigeant qui entretient des liens étroits avec Aurelius. Le périmètre exact de l’acquisition a fait l’objet d’informations contradictoires, les filiales en Europe continentale et en Irlande seraient concernées, ainsi que le Japon. Aux dernières nouvelles, la France n’aurait pas été incluse dans l’opération, pour des raisons juridiques. Il n’est pas non plus clair que la filiale aux Pays-Bas fasse partie de l’accord.

Au sein des filiales d’Europe continentale, le manque de transparence sur la stratégie inquiète.

« L’approche d’Aurelius concernant ses investissements, telle qu’elle est apparue récemment lors de la liquidation brutale en janvier 2024 de LloydsPharmacy - deux ans seulement après l’acquisition de ce qui était autrefois la deuxième plus grande chaîne de pharmacies au Royaume-Uni - suscite des inquiétudes quant à un modèle qui suggère une préférence pour des stratégies de profit à court terme plutôt que pour la stabilité des entreprises acquises », alerte une source qui s’inquiète de manœuvres visant à faire supporter le coût de la restructuration par les finances publiques.

Restructuration ou découpage ?

Quoiqu’il en soit, l’avenir de la chaîne se décidera au Royaume-Uni, où se trouve le siège social et l’histoire de l’entreprise et d’où sont livrés une grande partie des produits commercialisés par les filiales autour du monde. Les administrateurs du cabinet comptable FRP Advisory ont déclaré qu’ils « examineraient toutes les options pour trouver une solution pour l’entreprise et qu’ils informeraient les créanciers et les employés en temps voulu ».

La mission des administrateurs est d’évaluer la situation financière et les offres des acheteurs potentiels afin de trouver les meilleures options pour la sauvegarde des emplois, mais ils s’attacheront particulièrement à garantir que le plus d’argent possible soit restitué aux créanciers. Et il n’est pas exclu qu’Aurelius reprenne le contrôle de The Body Shop après une cure d’amaigrissement.

Selon des sources proches du dossier, la marque devrait survivre sous une forme ou une autre, mais avec beaucoup moins de magasins. On s’attend également à ce que plusieurs filiales soient fermées, notamment en Europe.