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Crise agricole

Retrait de 3 matières actives en 2024 : la filière endives demande du temps


TNC le 22/02/2024 à 16:00

Flambée des coûts de l’énergie, disparition des solutions de protection des plantes… Près de 350 acteurs de la filière endive se sont réunis au Conseil régional des Hauts-de-France, à Lille (Nord), le 20 février pour exprimer leurs inquiétudes vis-à-vis de l’avenir de leur production.

Dans combien de secteurs la France peut-elle se valoriser d’être championne du monde ? On entend souvent parler de l’aéronautique, de l’industrie du luxe, mais moins des endives… Pourtant, l’Hexagone en est « le premier producteur mondial avec 130 000 t de chicons/an », rappelle Philippe Brehon, président de l’Association des producteurs d’endives de France (Apef).

Cependant, malgré « une forte demande des consommateurs et une filière souveraine », les endiviers connaissent actuellement une crise sans précédent. Parmi les revendications, beaucoup de producteurs ont dû renouveler leur contrat d’électricité au moment de la flambée des coûts de l’énergie : « des contrats signés à 400 voire 650 €/MWh alors que le prix de l’électricité tourne aujourd’hui autour de 70 €/MWh. Sur l’exploitation, nous sommes engagés jusque décembre 2025 et l’État réaugmente des taxes, notamment la CSPE, qui était descendue à 0,05 centime depuis 2 ans et passe désormais à 2,5 centimes », explique Benoît Coustenoble, producteur d’endives à Avelin (Nord). « Cela représente un budget de 35 000 euros sur mon exploitation, précise aussi Pierre Selosse. Le coût de l’énergie est central dans notre secteur ».

« Pas d’interdictions sans solutions »

« On pourrait se dire qu’il faut encore tenir deux années compliquées comme ça », note Benoît Coustenoble, mais un autre sujet inquiète les producteurs : le retrait de trois matières actives. Parmi elles, « la benfluraline (Bonalan), herbicide utilisé en incorporation avant le semis, dont le retrait est annoncé au 12 mai 2024, c’est donc la dernière année d’utilisation. On ne connaît pas de produit de substitution efficace et sélectif à ce jour », indique Xavier Waquet, conseiller technique au Ceta Endives Artois. Autre retrait prévu : « celui du triflusulfuron-méthyl (Safari) au 20 août 2024, herbicide utilisé en 2 à 3 applications en post-levée. Là non plus, il n’y a pas de produit de substitution homologué à ce jour. »

Et la troisième problématique concerne « la gestion des pucerons lanigères, qui viennent coloniser les racines d’endives en été et dont la sécheresse peut amplifier les dégâts (jusqu’à – 50 % de calibre pour les racines). L’insecticide utilisé contre ces ravageurs, le spirotétramate (Movento), est utilisable jusqu’en avril 2025 : 2024 est donc, là encore, la dernière campagne d’utilisation possible en endives. »

« Nous ne sommes pas opposés à la suppression de ces matières actives, il faut aller dans le sens des attentes des consommateurs, mais on demande juste un peu de temps », souligne Pierre Selosse, rappelant le slogan « pas d’interdictions sans solutions ». Même son de cloche pour la filière chicorée, également impactée par le retrait de la benfluraline.

« Manque de visibilité »

Tous évoquent un « manque de visibilité politique » : l’Apef a eu plusieurs discussions avec Marc Fesneau, « nous avons pu faire part en amont de nos inquiétudes vis-à-vis de la benfluraline notamment, indique Philippe Brehon. Le ministre avait répondu « ne vous inquiétez pas », mais en janvier 2023, la France a voté contre sa réautorisation. Aujourd’hui, la seule solution qu’on nous ait donnée, c’est d’implanter des racines dans des parcelles indemnes de chénopodes », une phrase qui fait sourire la salle…

Timothé Dufour, avocat à la Cour de Paris, attaché à la défense du monde rural, dénonce « un problème de confiance légitime, qui entraîne la désorganisation d’une filière, et met en danger des exploitations, des hommes et des femmes ». La filière endive représente 300 producteurs ainsi que 5 000 emplois directs et indirects. Elle est « prête à se battre si aucune solution n’est trouvée, mais aujourd’hui l’heure est aux négociations ».

Quelles pistes de solutions ?

« Nous demandons du temps et de nous faire confiance, ajoute Philippe Brehon. De nous donner le cadre pour réussir à surmonter ce défi et que les producteurs aient plus de visibilité pour continuer à investir. Des alternatives sont notamment à l’étude au sein de l’Apef, qui a sa propre station de recherche (financée à 90 % par les professionnels de la filière). » Les semenciers travaillent également sur des variétés tolérantes aux pucerons.

Pour Daniel Bouquillon, ancien président de l’Apef, il faudrait une ligne directrice commune pour tous les producteurs européens d’endive et de chicorée, concernant la recherche de méthodes alternatives. « Les débits de chantier seront peut-être réduits et cela va demander des investissements, mais on va y arriver ! Je crois à une combinaison de solutions. »

Les producteurs belges partagent, en effet, les mêmes difficultés, comme en témoigne Klaartje Bunkens, représentante de la filière pour la Belgique. Parmi les solutions étudiées, « des herbicides alternatifs ainsi que le désherbage mécanique avec système de guidage par caméra. Ce dernier fonctionne plutôt bien, cela reste toutefois assez coûteux… ». En agriculture biologique, les producteurs ont aussi recours aux désherbages thermique et manuel, mais là encore, les techniques restent coûteuses en temps et en investissement.

« Dans la filière mâche, nous avons subi un peu la même chose en 2018, de manière encore plus brutale, partage Cyril Pogu, producteur de mâche et de jeunes pousses notamment dans la région nantaise, et également co-président de Légumes de France. Nous avons appris à ce moment-là, en un mois, que nous perdions une solution biocide très utilisée contre les champignons du sol. Tous mes collègues disaient « la mâche nantaise, c’est fini ! ». Pourtant nous n’avons pas eu d’autres choix que de se mettre tous autour de la table pour trouver des alternatives… ».  « Cela ne va pas être simple », mais Cyril Pogu se veut optimiste et souligne le soutien inédit qu’il ressent en 10 ans d’engagement syndical. Beaucoup d’élus locaux se sont d’ailleurs rendus disponibles ce 20 février pour comprendre les problématiques de la filière.

« L’Apef a déposé un dossier au Parsada pour financer davantage de travaux d’expérimentation. Il va falloir se réunir pour faire le point sur les essais réalisés et voir quels outils cibler. » En ce qui concerne le spirotétramate, utilisé aussi par les filières arboriculture et betteravière, Cyril Pogu évoque « un manque de transparence des firmes qui ont contribué à constituer une impasse ». Il a obtenu « l’engagement de la conseillère du ministre pour pousser une demande de dérogation de 2 ans auprès de l’Union européenne. Cela permettrait la gestion des pucerons, en attendant deux solutions encore aujourd’hui en cours d’étude ».