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Sarrasin en France : actions et vérités

La sole de sarrasin a triplé en dix ans dans l’Hexagone mais des freins à sa culture doivent encore être levés. Un groupe de travail dédié est en cours d’installation au sein d’Intercéréales.

La moisson du sarrasin par andainage permet un séchage naturel de la plante, qui limite le développement des mycotoxines.
© Eureden

L’assemblée générale d’Intercéréales du 14 novembre a entériné la création d’un groupe de travail sur le sarrasin, qui sera officiellement lancé en début d’année 2024. « Il permettra, entre autres, de cerner les contraintes liées à la culture et au stockage du sarrasin », précise Chloé Malaval-Juery, ingénieure régionale d’Arvalis. Et Jérôme Goulet, directeur commercial des activités grande distribution et sarrasin d’Axiane Meunerie, leader du marché français pour la farine de sarrasin au rayon épicerie sous la marque Treblec, d’ajouter : « Ce groupe de travail, en collaboration avec l’Association nationale de la meunerie française [ANMF], va également étudier le marché du sarrasin en France, structurer et fiabiliser ses sources en termes de données statistiques ». Seuls des bilans simplifiés du sarrasin hexagonal sont aujourd’hui diffusés par FranceAgriMer. Aucun chiffre de production, de rendement, d’autoconsommation à la ferme ou d’utilisation autre qu’en meunerie n’est disponible à ce jour.

Une relance insuffisante de la culture en France

Les données de FranceAgriMer (cf. graphique) illustrent la relance de la culture de sarrasin en France, pour répondre à la demande croissante des transformateurs, portée par l’intérêt des consommateurs pour cette pseudo-céréale sans gluten qui se présente sous de multiples formes (flocon pour petit-déjeuner, chips, biscuit, pâte alimentaire, miel, bière, whisky…), sans oublier les fameuses galettes de blé noir.

Cependant, la France est loin d’être autosuffisante au vu des importations. En 2022-2023, si la sole de sarrasin a atteint un record sur les dix dernières années (44 300 ha) et la collecte son deuxième meilleur résultat (27 400 t), les importations (9 600 t) ont représenté un tiers des utilisations intérieures (26 900 t). Les pays d’origine sont principalement européens avec la Lituanie (4 000 t), la Lettonie (2 700 t), la Pologne (580 t) et la République tchèque (550 t), puis viennent la Chine (400 t) et le Canada (80 t).

Des importations européennes douteuses

Si la France n’a officiellement pas importé de sarrasin russe en 2022-2023, en raison de la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, « il semblerait, selon les échos du marché, que le sarrasin russe soit européanisé en passant par les ports baltes », rapporte Lionel Guerret, responsable de la Minoterie Corouge (Morbihan), deuxième fabricant français de farine de blé noir. Ce système de « blanchiment » de marchandise existe également en Pologne, renchérit Jérôme Goulet : « Mes interlocuteurs polonais [Axéréal, dont Axiane Meunerie est la filiale minotière, possède des installations en Europe centrale] voient passer sur les routes des camions de sarrasin ukrainien et russe qui viennent en Pologne pour y décharger leurs marchandises, qui sont alors mélangées avec du sarrasin polonais et vendues comme tel. »

De multiples freins à la production

Contrairement aux idées reçues (cf. encadré), la culture de sarrasin n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est confrontée à de nombreuses problématiques dont la volatilité des prix de marché, l’hétérogénéité des rendements et les importants risques sanitaires (mycotoxines, datura, voire prosulfocarbe).

Pour la récolte 2023, si les prix du sarrasin sont en baisse de 10 % à 20 % selon les origines et les variétés par rapport à l’an dernier, ils n’atteignent pas les bas niveaux de prix d’il y a deux à trois ans. « Sur l’IGP Blé noir de Bretagne, le prix à réception chez le meunier se situe autour des 1 100 euros par tonne pour la récolte 2023, contre 1 300 pour la récolte 2022 et 900 pour la récolte 2021. Pour une origine France en conventionnel, il est autour de 900 euros par tonne pour la récolte 2023, contre 1 100 pour la récolte 2022 et 800 pour la récolte 2021 », indique Jérôme Goulet. Les prix du blé noir bio hexagonal, les plus rémunérateurs, suivent la même évolution : les valeurs maximales du sarrasin bio s’élèvent à 1 150 €/t pour la récolte 2023 (en ce début de campagne commerciale), contre 1 300 €/t pour la récolte 2022 et 1 050 €/t pour la récolte 2021, selon les cours publiés par La Dépêche-Le Petit Meunier.

« Si le rendement moyen du blé tendre en France s’élève à 7 tonnes par hectare, celui du sarrasin atteint 1,2 à 1,3 tonne par hectare dans les bonnes années mais seulement 8 quintaux par hectare les mauvaises années, voire 0 kilo par hectare les pires années », déplore Jérôme Goulet. « Si les conditions climatiques à la floraison ne sont pas propices à la pollinisation et/ou la récolte s’effectue par temps très humide, avec à la clef le développement de mycotoxines (ochratoxine et aflatoxine), le travail de l’agriculteur peut être réduit à néant », explique Michel Le Friant, responsable métiers du grain d’Eureden, qui a contribué à la création de l’IGP Farine de blé noir de Bretagne. « La Minoterie Corouge travaille beaucoup sur la sélection variétale avec des prestataires pour améliorer le rendement et sécuriser ainsi l’approvisionnement, en testant au champ des variétés existantes moins sensibles », indique Lionel Guerret.

Mais le problème majeur du sarrasin est le datura, plante invasive contenant des alcaloïdes tropaniques neurotoxique. Afin de limiter la prolifération du datura, il est recommandé de cultiver du sarrasin qu’une fois tous les cinq ans sur la même parcelle. Par ailleurs, en l’absence de solution chimique homologuée, le seul moyen de le supprimer est d’arracher manuellement les plantes, localisables par drone. Quant au jus de datura, la moisson par andainage, qui permet un séchage naturel de la plante au champ, limiterait sa concentration dans les lots récoltés. Un avis non partagé par Michel Le Friant qui alerte : « affirmer que l’andainage permet de réduire la présence de jus de datura dans les lots de sarrasin, c’est inciter les producteurs à laisser des plantes de datura dans leur champ, mettre en danger la qualité des farines et conduire à de potentiels retraits de produits en grandes surfaces, ce qui est dramatique pour la filière ». Dans tous les cas, « le contrôle visuel sur un échantillonnage du lot de sarrasin à réception, puis le triage optique et les analyses à l’entrée du moulin sont indispensables », insiste Jérôme Goulet.

Autre problème rencontré par le sarrasin : la contamination par le prosulfocarbe. Ce désherbant très volatil, utilisé avant les emblavements de blé de début novembre, se propage sur les cultures tardives de sarrasin en toute fin octobre. Résultat : il ne peut plus être commercialisé sous tout cahier des charges interdisant les produits phytosanitaires au champ (bio, IGP…).

Lire aussi : "Céréales et oléoprotéagineux bio : des parcelles de sarrasin contaminées par les herbicides à base de prosulfocarbe"

Une nécessité de travailler en filière

Pour inciter les agriculteurs à produire du sarrasin de qualité, il est nécessaire de leur assurer un prix rémunérateur. C’est tout l’intérêt des filières de production, qui se mettent en place ces dernières années en France.

« La collecte de blé noir s’est développée progressivement depuis l’année 2000 car nous avons réussi, grâce aux travaux entrepris au sein de l’organisme de défense et de gestion [ODG] Blé noir Tradition Bretagne, à gagner en qualité et concurrencer les produits d’importation. Nous avons gagné la confiance de nos meuniers grâce à l’IGP Farine de blé noir de Bretagne », se réjouit Michel Le Friant. De son côté, Axiane Meunerie travaille, pour le compte d’un de ses clients industriels, avec des agriculteurs d’Axéréal implantés en Beauce, sur un projet de filière de production de sarrasin, qui devrait être opérationnelle pour la récolte 2024.

Il y a un besoin de structurer la production de sarrasin au niveau national, via une contractualisation multipartite et pluriannuelle, afin de sécuriser des volumes de production en origine France pour ne pas dépendre des importations d’Europe centrale, voire de Russie ou de Chine [les deux plus gros producteurs mondiaux de sarrasin]. « Si tous les acteurs de la farine de sarrasin sont intéressés, encore faut-il la volonté économique et agricole de considérer la culture de sarrasin comme une production importante pour l’agroalimentaire français. Ce n’est pas une production accessoire ou d’opportunité, elle doit être intégrée dans la rotation des cultures », insiste Jérôme Goulet.

 

Le sarrasin, une plante facile à cultiver ? Vrai et faux…

Si le sarrasin se contente de sols pauvres et demande peu d’intrants (faibles besoins en azote, en produits phytosanitaire et en eau), il est peu résistant aux gelées printanières et aux fortes chaleurs estivales. De plus, il est nécessaire de gérer la présence du datura en l’arrachant manuellement dans les parcelles infestées et de sécher rapidement (dans les 48 heures) les grains après récolte pour éviter le développement des mycotoxines. Pour cela, organisation logistique et matériel adéquate (caissons, séchoir) sont indispensables à une collecte de qualité. Par ailleurs, il est préférable de dédier des silos au stockage du sarrasin et des lignes de mouture à la fabrication de sa farine, afin d’éviter toute présence de gluten dans les produits par contamination croisée.

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