Protéines France a choisi de porter l’estocade en plein cœur de l’été. L’association qui défend les intérêts d’acteurs de la filière des protéines végétales (1), a déposé, le 22 juillet 2022, un référé-suspension. Soit une procédure d’urgence, contre le décret du gouvernement interdisant les appellations animales du type « steak » et « lardon », pour les simili-carnés à base le plus souvent de pois chiche, de soja et de blé.

Le conseil d’État tranche

Durant deux ans, Protéines France s’est mobilisée d’une seule voix contre ce texte prévu par la loi Egalim 2 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires. À la suite d’un nouveau coup de pression, la version finalement parue le 30 juin au Journal officiel après validation par la Commission européenne, est battue en brèche : le 27 juillet 2022, le Conseil d’État a rétabli en effet la légalité des dénominations pour tous ces produits transformés, avant même leur interdiction programmée pour le 1er octobre.

 

La juridiction a concrètement suspendu le décret du gouvernement en estimant que les membres de l’organisation ne pourraient, comme ils s’en plaignaient, se conformer dans un laps de temps aussi court aux nouvelles exigences de la loi. Et ce, malgré les contestations de la Répression des fraudes, la DGCCRF, qui jugeait de son côté suffisant le délai de deux ans. La juridiction a ensuite indiqué se prononcer ultérieurement, à savoir dans quelques mois, sur le fond du décret pour décider de son annulation ou non.

 

Elle a également souligné, dans sa décision, le caractère flottant du texte, notant l’absence de liste de dénominations animales précises, ainsi que de sanctions encourues par les fraudeurs. Elle s’est finalement calée sur la législation européenne qui autorise l’usage des termes d’origine animale à des produits qui ne contiennent pas de viande, à l’exception des produits à base de lait.

Une victoire pour Protéines France

Cette décision de justice paraît venir à l’encontre des consommateurs : la DGCCRF à nouveau, avait relevé, dès 2020, au cours d’une enquête menée auprès de distributeurs des « dénominations trompeuses », citant pour exemples le « filet végétal façon canard », le « jambon roulé aux herbes » et le « bacon végan ». Cette victoire de Protéines France qui s’introduit un peu plus sur le marché de la viande, est surtout obtenue sur le dos des éleveurs, estiment de leur côté les associations spécialisées (lire les réactions ci-contre).

 

Le coup est dur, d’autant qu’il provient parfois de maisons très impliquées dans les filières animales. Et c’est là toute l’ambiguïté de l’association Protéines France qui compte parmi sa trentaine de membres, des start-ups comme Happyvore et Umiami, des groupes industriels ou coopératifs comme Avril, Limagrain, Roquette, Tereos et Vivescia pour ne citer que les fondateurs, ainsi que des instituts techniques tels Terre Inovia et des distributeurs à l’instar des Mousquetaires d’Intermarché.

 

Depuis cinq ans, cette association polymorphe vise « à fédérer et catalyser le développement en France des protéines végétales et des nouvelles ressources protéiques » du type algues, insectes et issues de micro-organismes. La requête déposée auprès du Conseil d’État, bien que favorable à l’association, démontre aussi les limites de la diversité de ses membres. En effet, plusieurs voix se sont élevées depuis la fin de juillet, pour se désolidariser de son action en justice.

Décision à huis clos

Le recours porté par Protéines France contre le décret a en effet été décidé à huis clos, le 8 juillet 2022, par les membres de son conseil d’administration, à savoir : Avril, Fermentlag, Herta, Lesaffre, les Mousquetaires, Limagrain (2), Nestlé, Roquette (2), Royal Canin, Soufflet (2), Tereos (2), Terrena, Vivescia et Ÿnsect. Le 26 août, le groupe coopératif Axéréal, adhérent depuis un an de Protéines France, a indiqué à La France agricole n’être « pas associé à ce recours », ne faisant pas partie du conseil d’administration (CA) de l’organisation.

 

Le groupe Avril qui a contrario compte parmi les membres du conseil d’administration, a attendu la décision du Conseil d’État pour annoncer dans un communiqué daté du 29 juillet, n’avoir « pas souhaité s’associer à la démarche initiée par l’association » devant la juridiction, et avoir « voté « contre » son adoption ». Avant d’ajouter : « Avril considère que les protéines végétales doivent être promues en tant que telles dans des aliments, sans forcément imiter les dénominations de produits alimentaires existants ». Le groupe, « à la croisée entre monde animal et monde végétal », souligne-t-il, déclare encore regretter la polémique et entend « poursuivre son engagement auprès des filières d’élevage tout comme son engagement à soutenir le potentiel de croissance des filières végétales ».

 

Même discours du côté du groupe coopératif Vivescia, membre du conseil d’administration, qui a fait savoir, le 26 août, « ne pas souhaiter opposer les protéines et ne pas vouloir entrer dans ce débat. Notre position est claire depuis trois ans ». Idem pour Terrena qui indique avoir voté contre la résolution : « Le rôle de Protéines France est bien de militer pour créer les conditions du développement de filières françaises de production de protéines végétales […] Elle n’est en aucun cas d’opposer protéines animales et végétales. »

« Les pieds dans le plat »

Ces positions sont-elles suffisantes ? La Coordination rurale interroge notamment : « Qui va oser assumer cette attaque en règle contre l’élevage ? Comment rester dans un consortium quand les avis divergent sur des points aussi importants que ceux-ci ? », indique le syndicat dans un communiqué paru le 5 août. « Nous mettons les pieds dans le plat, poursuit-il, et demandons aux membres de Protéines France d’afficher leurs positions réelles vis-à-vis de l’élevage. »

 

L’association met en avant dans un communiqué daté du 27 juillet, que sa démarche devant le Conseil d’État, est « soutenue en particulier » par les start-ups Accro, Happyvore, La Vie, Olga, Umiami ainsi que Nutrition et Santé, pourtant tous simples adhérents, mais sans implication auprès des acteurs des protéines animales. De son côté, l’ex-député de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, l’un des artisans du décret, glisse que « Roquette et Tereos se sont montrés les plus âpres à l’encontre du texte du gouvernement au moment de sa préparation ». Présidée par Christophe Rupp-Dahlem, par ailleurs directeur des affaires publiques de Roquette, Protéines France pourrait connaître une rentrée très animée, lors de son conseil d’administration prévu avant la mi-septembre.

(1) Protéines France réunit les entreprises Algama, Arbiom, Axéréal, Avril, Cosucra, Dat Schaub, Fermentalg, Groupement Les Mousquetaires, Happyvore, Herta, Iff, Interchanvre, Iterg, La Vie, Le Gouessant, Lesaffre, Lidea Seeds, Limagrain, Nestlé, Nxtfood, Nutrition & Santé, Olga, Planted, Poittemill, Puratos, Saatbau, Savencia, Sotexpro, Soufflet, Tereos, Terrena, Terres Inovia, Roquette, Royal canin, Umiami, Via Végétale, Vivescia, et Ÿnsect.

(2) Contactés, ils n’avaient pas répondu à l’heure de notre bouclage.